18 Mars 2024
Gabriel Attal a lancé toute une série de réformes pour le collège. Parmi elles la création de groupes de niveau pour les enseignements de français et de mathématiques. En faisant cela il reprend des idées reçues qui imprègnent les milieux conservateurs, sans s'attaquer vraiment aux vrais problèmes de l'Education Nationale. C'est en fait essentiellement une campagne de communication vis à vis de ses électeurs.
Toutes les recherches pédagogiques démontrent qu'il s'agit d'une mauvaise idée, mais le populisme n'a pas de limite.
Manifestons-tous, avec les parents d'élèves, le 19 mars devant le collège du Bois d'Aulne à Conflans-Sainte-Honorine
Ce dossier préparé par la FCPE joint ci-après nous permettra d'en savoir plus.
Groupes de niveaux ?
L’idée semble être "de bon sens" : Accorder une attention particulière aux élèves en difficultés peut sembler une bonne idée mais…
Les groupes de niveau ne sont qu’une des formes de la pédagogie différenciée, et pas la meilleure, il y a des alternatives…
Ces annonces se font alors que les DHG (dotation horaire global) sont déjà définies et de fait, sans moyens supplémentaires (on a juste annulé des suppressions de postes) L’organisation pratique est très complexe et la mise en œuvre suppose de nombreuses conditions non réunies.
Les effets pervers sont bien décrits par la recherche.
S’engager dans cette voie pose aussi de nombreux problèmes éthiques et politiques…
Une vieille histoire
Les groupes de niveau avaient été mis en place dans une expérimentation dans plusieurs collèges à partir de 1967, avec l’objectif déclaré "de parvenir à l’individualisation de l’enseignement dans un système nécessairement collectif, en vue d’éviter les redoublements et les évictions".
Un fonctionnement assez lourd et peu transférable : concertation importante, flexibilité difficile à mettre en œuvre.
En 1975, la réforme Haby du Collège unique met fin aux filières dans le collège.
L’hétérogénéité des classes est établie mais des actions de soutien et des activités d’approfondissement sont organisées.
En1982, Louis Legrand, ancien directeur de l’Institut national de la recherche pédagogique, rédige un rapport intitulé "Pour un collège démocratique". Pour lutter contre l’échec scolaire, il propose la mise en place d’une pédagogie différenciée : tutorat pour les élèves en difficulté, autonomie des établissements pour mieux prendre en compte les situations locales, travail en équipe pédagogique.
La recherche s’oriente plutôt vers des “Groupes de besoin” avec des groupes flexibles et temporaires dédiés à une difficulté sans renoncer aux classes hétérogènes.
Groupes de besoin ≠ Groupes de niveau
Le dispositif qui a été annoncée par le ministre, les groupes de niveau, est un entre-deux entre les classes de niveau (inefficaces) et les groupes de besoin dont certaines modalités ont démontré leur efficacité.
Les programmes efficaces mentionnés par la recherche et par l’OCDE regroupent les élèves sur des temps limités en vue de leur faire acquérir des compétences précises et ciblées.
En cours de maths par exemple, il peut s’agir de regrouper les élèves pour qu’ils comprennent spécifiquement la notion de fonction, ou qu’ils acquièrent la capacité à résoudre des problèmes de proportionnalité, deux compétences visées par le programme de collège.
La condition des groupes de besoin suppose une réorganisation très fréquente des groupes, basée sur des évaluations systématiques des élèves par les enseignants, ce qui permet de redéfinir de nouveaux objectifs d’apprentissage dès que les précédents ont été atteints.
Cette organisation repose donc sur l’idée que le regroupement provisoire est déterminé par des compétences à acquérir, et non par un niveau global dans une discipline évalué par un test de positionnement en début d’année.
Avec quels moyens ? - Dans quelle organisation ?
Les moyens et les modalités prévus dans le dispositif ne permettent pas de remplir ces conditions !
Différenciation des apprentissages : quelles modalités pour quels impacts ?
C'est le titre de la note IDEE n°1 de l'École d'économie de Paris où l'inefficacité des regroupements permanents, du redoublement ou des classes de niveau ressort clairement.
La recherche montre que ces regroupements n’ont pas d’effets positifs sur les apprentissages, ni pour les élèves du groupe « fort » ni pour ceux du groupe « faible », et contribuent plutôt à accentuer les inégalités sociales de réussite scolaire.
En revanche, la mise en place de « groupes de besoin » flexibles et temporaires visant des compétences et des objectifs d’apprentissage précisément identifiés et reposant sur une évaluation régulière des acquisitions des élèves – pourrait avoir des effets plus bénéfiques.
Quels effets ? Quelle efficacité ?
Quelles alternatives ?
La clé principale réside dans la formation des enseignants à la différenciation pédagogique
La réduction des effectifs et la possibilité d’enseignants surnuméraires permettrait une organisation + souple (comme dans “plus de maitres que de classes”).
Le tutorat est une solution moins couteuse que le redoublement et les dispositifs lourds comme les groupes de niveaux.
L'enseignement mutuel et la coopération entre élèves sont des pistes qui profitent à tous (“bons” et “moins bons” …).
La prise en compte des difficultés dès l’école primaire est essentielle (rappelons que la France est un des pays de l’OCDE qui dépense le moins pour l’école primaire…)
Un énorme travail du Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) en 2017 dresse un état des lieux de la différenciation pédagogique et fournit des réflexions très intéressantes sur les différentes modalités qui peuvent être mises en œuvre.
Si l’on veut bien s’en donner les moyens (formation, postes…) !
Remise en cause du collège unique
Au delà des questions d’organisation et des effets pervers se posent aussi des questions éthiques et politiques…
Un avis de janvier 2024 du Conseil Supérieur des Programmes prévoit déjà une différenciation des attentes selon les groupes ainsi qu’une sélection précoce.
Ce serait la fin du collège unique et du socle commun.
Ce n’est qu’un « avis », mais…
Conclusion
Les groupes de niveaux sont une mauvaise réponse à une vraie question qui est celle de la gestion de l’hétérogénéité des élèves.
Les conditions de mise en œuvre montrent qu’on est loin de ce que pourraient être des “groupes de besoin”.
Elle est aussi le symptôme d’une difficulté d’une partie des enseignants à accepter et gérer la difficulté scolaire et l’hétérogénéité. Ce n’est pas qu’un problème de postes mais aussi de formation et de culture des enseignants.
Cette décision et cette précipitation montrent que la décision politique ne tient pas compte des avis des partenaires et des travaux de la recherche
FCPE - Philippe Watrelot février 2024
Sources
https://www.cnesco.fr/differenciation-pedagogique/etat-des-lieux/
https://www.cafepedagogique.net/2024/01/30/groupes-de-niveau-revue-de-litterature-internationale/
https://www.cahiers-pedagogiques.com/les-groupes-de-niveau-une-vieille-histoire/
https://www.alternatives-economiques.fr/marie-duru-bellat/classes-de-niveau-college-unique/00108351
https://www.vie-publique.fr/eclairage/38483-le-debat-sur-le-college-unique